par Lec |
Cécile Leroux est engagée dans l'accueil des migrants dans notre département. Pour tous ceux qui souhaitent comprendre la situation, elle dresse dans Alp'ternatives un état des lieux de ce qui est une "crise" de l'accueil et non une "crise des migrants". Bonne lecture.
Lorsque la vallée de la Roya a été cadenassée par la PAF, l'armée, la police, que toutes les gares ont été bloquées, que les militants ont été arrêtés, nous nous étions dit : « par où vont passer les migrants ? » Et bien maintenant nous le savons : par le col du Montgenèvre d'abord puis par le col de l’Échelle depuis le début de l'année 2017. Contrairement à la première migration qui venait essentiellement des pays en guerre (Érythrée, Soudan, Syrie...) et qui se composait plutôt d'adultes, de familles aujourd'hui ce sont essentiellement des mineurs qui viennent de l'Afrique de l'Ouest (Guinée Conakry, Cameroun, Ghana...) qui arrivent dans les Hautes Alpes.
Pour ceux qui parlent français, ils pensaient arriver dans le pays des droits de l'homme, du droit d'asile et y être accueillis correctement après leurs périples affreux par les déserts , les geôles de la Libye, les canots de la Méditerranée…Mais comme l'a affirmé aux Restos du Cœur Emmanuel Macron : « On ne peut pas prendre toute la misère du monde» reprenant une phrase malheureuse de Michel Rocard. Et il rajoute « je ne suis pas le Père Noël » : ça dépend pour qui !
Alors officiellement que leur offrons-nous ?
Si « l'accueil » des pouvoirs publics est insuffisant et parfois en dehors de la loi, celui des « milivoles » (un concentré de militant et bénévoles inventé par les premiers touchés par cette migration à Calais !) est toujours aussi réactif.
Une chasse à l'homme dans les montagnes.
Le col de l’Échelle commence à être cadenassé par les forces de l'ordre (application de l’état d'urgence), obligeant les jeunes à prendre des chemins de plus en plus périlleux à partir de Bardonnechia. Ne pas oublier qu'ils ne sont pas équipés du tout pour affronter le froid et la neige !
Alors des maraudes sont organisées dans différents coins de la montagnes : dépôts de couvertures dans des cabanes, passage régulier de bénévoles pour recueillir ceux qui appellent au secours (et oui des n° de téléphones circulent malgré nous...Et c'est tant mieux pour la solidarité !) et courageux de la part de ceux qui le font.
Pour ceux qui arrivent dans la Clarée de nombreuses portes sont ouvertes à un premier accueil : se réchauffer, manger, dormir. Puis Briançon prend le relais.
Des interpellations et des reconduites à la frontière illégales.
Comme les derniers reportages l'ont raconté, les voitures ayant à leur bord des jeunes migrants sont arrêtées : les forces de l'ordre invitent les conducteurs à se présenter au commissariat en leur précisant qu'ils sont considérés comme passeurs. Alors qu'ils font de l'aide humanitaire et du sauvetage en montagne. Et les jeunes interpellés, après un tour au commissariat ou dans le camion de la gendarmerie, sont ramenés sur la route, parfois de nuit et sans avoir été nourris, avec pour ordre de rejoindre à pieds l'Italie ! Précisons qu'on leur fait signer un papier de 4 pages dans lequel il y a deux cases à cocher : « je n'accepte pas de retourner en Italie » ou « j'accepte de retourner en Italie » : c'est cette case qui est pré-cochée !
On assiste ici à une notion de frontière élastique : les Points de Passage Frontaliers (PPF) une ligne frontière prolongée de 20 km par les accords de Schengen. Et les Points de Passages Autorisés (PPA) : la procédure de non-admission, instaurée en novembre 2015, permet de considérer qu'un étranger en situation irrégulière contrôlé à l'un des points de passage autorisés (PPA) du département n'est pas entré en France et peut donc être remis directement aux autorités du pays dont il provient, en l'occurrence l'Italie. Il semblerait qu'il y ait un seul PPA dans les Hautes-Alpes au col du Montgenèvre (et donc pas au col de l’Échelle). Ils sont donc maintenant posés à la PAF de Montgenèvre qui peut ainsi les renvoyer en Italie. Ceci permet aux forces de l'ordre d'interpeller les bénévoles ou les jeunes migrants sans qu'ils soient au courant de l'endroit où ils se trouvent et de cette situation. Question existentielle dans la Clarée : suis-je en France ou ne le suis-je pas ?
Rappelons par ailleurs que les migrants se déclarant mineurs doivent obligatoirement (d'après le droit international) être accueillis en France et pris en charge par le Conseil Départemental. C'est la même chose pour les mineurs et les majeurs qui demandent le droit d'asile.
Un accueil dépourvu d'empathie et de professionnalisme au Conseil départemental : celui-ci doit accueillir les mineurs et les évaluer.
Il y a une procédure très stricte pour cette évaluation qui ne semble pas être parvenue dans le 05. Il faut d'abord des professionnels spécialisés et formés à cet accueil. Il serait souhaitable qu'ils aient un minimum de connaissances géographiques, historiques et politiques sur ce qui se passe dans les pays d'origine de migrants. Un minimum d'empathie avec ces jeunes souvent très inquiets serait apprécié. Enfin on peut imaginer qu'il n'y ait pas de pression sur eux pour qu'ils « déminorisent » le plus de jeunes possible. Les comptes rendus d'évaluation contiennent des perles d'inculture et une méconnaissance flagrante des caractéristiques de cette population adolescente et traumatisée.
Un toit, un droit
Avant d'être évalués les jeunes doivent être mis à l'abri, ce qui a fini par se faire dans plusieurs lieux.
Les lieux d'accueil des mineurs sont gérés par France Terre d'Asile ou par l'APASE (qui gère le 115) ou directement sous la responsabilité du Préfet (un prix de journée et une prise en charge des jeunes qui diffèrent ainsi que l'accueil). Dans certains de ces lieux officiels (comme celui de la Baie de Chanteloube), il n'est pas possible de rentrer (en tant que bénévoles) pour animer des activités, faire de l'alphabétisation ou juste rencontrer des jeunes qu'on connaît…
S'ils sont reconnus comme mineurs, ils doivent avoir une ordonnancement de Placement Provisoire (OPP) dans un département : le nombre de ces places par département est géré au niveau national : mais c'est mal fait et certains départements ne mettent pas beaucoup de bonne volonté dans l'accueil. C'est ce qui se passe au Conseil Départemental des Bouches-du-Rhône : les jeunes mineurs reviennent à Gap faute de places, quand ils ne errent pas dans les rues de Marseille.
Lorsque les jeunes ne sont pas reconnus comme mineurs ils sont mis à la rue. Ils peuvent faire appel de la décision du conseil départemental auprès de la juge pour enfants. Ou alors ils doivent alors essayer de demander le droit d'asile ou un titre de séjour.
Ce sont principalement ces jeunes déminorisés et non placés qui ont été accueillis dans la salle Saint André à Gap, au Chum à Veynes, à la maison de Marcel ou à la CRS à Briançon (La maison Cézanne à Gap étant plutôt destinée à l'accueil des familles). Tous ces lieux tiennent grâce aux bénévoles qui commencent à fatiguer. De plus certains doivent fermer ou réduire le nombre de personnes accueillies. Ces lieux ne vivent que grâce à l'aide matérielle et financière des personnes volontaires : pas de prix de journée pour ces espaces !
Aujourd'hui la salle Saint André doit être rendue à l’Évêché car elle est vendue. Aucune solution n'ayant pu être trouvée auprès des paroisses, une rencontre entre l’évêque et le préfet a permis que des nouvelles places soient ouverte au 115 pour accueillir la quinzaine de jeunes restants qui le souhaitent.
Mais comment suivre ces jeunes s'ils sont dispersés dans plusieurs lieux ? Qu'adviendra-t-il des nouveaux arrivants qui seront déminorisés ? Et des OPP qui ne sont pas placés ? En attendant un accueil de jour sera proposé au Secours Catholique mais l'après midi.
Il est certain que ce lieu d'accueil chaleureux va manquer dans la ville préfecture.
Pourrions-nous essayer de réfléchir ensemble à Gap sur le devoir d'hospitalité et trouver des nouvelles solutions concrètes d'hébergement avec ou sans les autorités ? Nous nous heurtons depuis le début de l'été à un manque de reconnaissance du travail des associations et des bénévoles : ce serait peut être le moyen d'y parvenir.
C'est en tout cas ce sujet de l'hospitalité qui sera traité à Briançon les 16 et 17 décembre 2017 pour la journée internationale des migrants et les États généraux des migrations avec un certain nombre de jeunes migrants, d'artistes, de bénévoles, de personnalités et d'élus.
A bientôt de nouvelles informations…
Cécile Leroux, le 30 novembre 2017